Et si, pour changer, on explorait le connu !

Un peu tous les jours j’entends : « On l’a déjà fait », « On l’a déjà essayé », « On le fait déjà », « On le faisait avant », « Ça, on connaît, ça n’a pas marché », « Ça ne marche pas », etc. etc.

Que disons-nous là ? Je sais. Je sais si ça marche ou pas. Je sais si c’est réalisable ou pas, si ça vaut le coup ou non… L’expérience que j’ai d’une manière de faire, d’une personne, ou d’une chose, me donne un savoir définitif sur cette manière de faire, sur cette personne, ou sur cette chose. Et par là même clôt l’ouverture, le mouvement vers de nouveaux possibles, que ce soit pour l’action, pour la relation ou pour soi. Nous voici face à un défi : chercher à découvrir, à saisir de l’inconnu ou du méconnu, dans notre connu, dans ce lieu d’une pratique régulière, d’un habituel, d’une expertise.

Ce que je connais de mon métier m’empêche de le redécouvrir

Pour reprendre un propos de Christiane Singer, ce que l’on nomme souvent «réalité», c’est la partie fossilisée du réel. La réalité professionnelle est parfois cette vision arrêtée à ce qui a existé : une seule direction du regard, une seule représentation de l’histoire, une seule interprétation de l’environnement, la classification définitive d’un comportement ou d’une attitude. La recette est alors classique : vous associez cela à une culture de la maîtrise et du contrôle, vous le couplez à la valorisation de certitudes sécurisantes et du goût d’avoir raison. Nous prenons alors la mesure que l’univers du connu est un enclos bien gardé et fort valorisé, notamment dans notre monde professionnel. Et n’oublions pas de prendre en considération notre paresse naturelle : bouger demande des efforts – physiques, émotionnels, intellectuels.

Alors, qu’est-ce qu’on gagne à explorer dans l’enclos ?

Un premier bénéfice évident, tout est là. Il n’y a pas à chercher ailleurs. Un autre intérêt, on peut jouer tout de suite et tout le temps, seul et avec d’autres. Mais, attention, ne vous retournez pas ! L’inconnu est dans votre dos, il est collé au connu ; ce sont les deux faces d’une même médaille. Alors, exerçons notre capacité à déciller le regard et à développer une vision à facettes pour sortir de notre cécité quotidienne, de nos évidences aveuglantes. Ouvrons-nous à du renouvellement. Au sein de l’ordinaire de nos pratiques, remarquons que nous pouvons avoir créer de petits décalages et avoir une prise dans des environnements professionnels, très souvent contaminés par un sentiment d’impuissance, ou d’impossibilité. Enfin, nous gagnons à sortir de l’attente, de la résignation et de la recherche d’un ailleurs qui serait meilleur. La folle idée serait de concevoir, ici et à partir de maintenant, un autrement à notre portée.

Et maintenant, comment on s’y prend ?

D’abord, décider, se décider. Accepter de se lancer, de partir à l’aventure. C’est-à-dire que rien n’est sûr, et dans le même temps, comme en littérature ou en musique, TOUT n’a pas encore  été écrit. Il y a encore et toujours beaucoup à créer, mais nul ne sait avant, ce qu’il aura écrit après. Alors, la mise en mouvement, la curiosité, le goût pour chercher, essayer, oser ainsi que le désir, la détermination de trouver, sont des ingrédients majeurs. Regarder, rassembler ce qui est là, et systématiquement le manipuler (tourner, retourner en tous sens) pour envisager comment cela pourrait être vu, perçu, utilisé, associé autrement, considérer les éléments depuis l’autre face de la médaille. Transformer les contraintes, les blocages, les répétitions indésirables en nouveaux matériaux inattendus, originaux, qui seront à modeler, détourner. Autre point, intégrer la notion de relativité. Reconnaître la relativité de notre regard, de notre analyse, et du moment où s’est passé l’événement. Apprendre à discerner et à dissocier ce qui est en présence dans le connu, avec sa temporalité, et cultiver la conviction que s’y love quelque chose qui nous est encore inconnu.

L’invitation proposée est de regarder, penser, organiser, essayer, positionner autrement – les autres, les événements, les éléments, ou soi-même. Alors, si j’ai l’audace d’essayer, d’expérimenter, de tâtonner, de recommencer un peu différemment, je suis déjà sur le chemin de quelque chose d’autre.

• Un essentiel à retenir •

La découverte se fait en cheminant,
et la concrétisation s’initie dans notre capacité à tenter.
Dominique Sinner